Katsumi laisse son corps bouger avec la musique, elle ne réfléchit pas trop, ses yeux sont clos et elle ne fait que suivre le rythme pour s’exprimer ; elle ne sait même pas trop ce qu’elle exprime d’ailleurs, peut-être juste du plaisir et de la joie ? Elle ne connaît pas vraiment de chorégraphie, elle se laisse tout simplement aller devant la foule qui semble emballée par sa performance. Après avoir arrêté le foot, elle n’a rien fait pendant quelques temps, frustrée d’avoir été contrainte de quitter le club et puis un ami lui a proposé de rejoindre le club de danse avec lui au collège ; Katsumi qui ne se souvenait que de ses cours de danse classique ennuyeux à mourir a bien failli refuser, mais il a insisté pour qu’elle voit au moins une de leur performance. Ils bougeaient tous si bien, comme libérés de toutes chaînes, que d’abord elle a cru halluciner, la musique elle-même était comme débridée et avant qu’elle ne s’en rende compte, elle avait envie de les rejoindre. Aujourd’hui en dernière année de collège, elle a rejoint avec quelques potes du club une dance crew qui se produit dans la rue pour épater la foule et Katsumi ne s’est jamais sentie aussi vivante que quand elle entend les encouragements du public ponctuel qui s’est formé autour d’eux, c’est dingue comme on y prend goût.

Le soleil descend dangereusement à l’horizon, elle n’est pas encore en retard, mais elle a un stupide couvre feu, imposé par son père à ses trois filles, alors elle court pour ne pas se prendre une réfléxion en rentrant. Arrivée au temple cependant, elle repère un vieux monsieur à l’air sévère qui n’a pas l’air d’être ici pour prier, il semble chercher quelqu’un. Katsumi s’approche de lui doucement, il n’a vraiment pas l’air commode, mais il a sûrement besoin d’aide, et le salue poliment ; tout ce qu’elle y gagne c’est d’être dévisagé de la tête aux pieds. Il sort un petit papier avec pour seule indication de ce qu’il veut, un nom, toujours sans dire un mot.

- Oui c’est ma mère ? Elle est perplexe, est-il de la police peut-être ? Ce n’est pas tout à fait impossible pour sa mère d’avoir des problèmes avec les autorités, elle peut être un peu excentrique, mais Katsumi n’exclue pas non plus le fait qu’elle aurait pu faire quelque chose de mal sans s’en rendre compte ; elle ne sait pas où regarder quand le vieil homme lui répond dans un mauvais japonais.
- Emmène-moi.

Et elle obéit car elle a un petit peu peur, elle lui indique de la suivre et fait le tour du complexe pour le faire entrer par l’entrée principale de la maison. Sa petite soeur est devant la télévision et la questionne du regard, mais elle ne sait quoi lui répondre et scande plutôt sa mère qui apparaît dans le couloir, faisant tomber ce qu’elle avait dans les mains.

- Papa ? L’homme enlève son chapeau et parle dans une autre langue et leur mère lui répond de façon un peu bancale alors que ses deux filles ne savent absolument pas où se mettre.

Natsumi ne tarde pas à rentrer suivie de leur père qui pour changer, n’est pas de bonne humeur et il est décidé que le vieil homme reste dîner avec eux ; leur mère passe la soirée à essayer de s’expliquer tout en traduisant ce que dit son “père”, mais cela ne fait que rendre les choses plus confuses. Pour résumé, l’homme que les trois filles pensaient être leur grand-père maternel est le second mari de leur grand-mère et cet homme présent ce soir, est semblerait-il le vrai père de leur mère, il est coréen et a fait le voyage pour rencontrer sa “famille”. Leur père s’indigne qu’il se permette de les appeler ainsi, pour lui il n’est qu’un inconnu ; Natsumi aussi est catégorique, elle a déjà un grand-père et ce n’est pas lui. Les deux plus jeunes ne disent mot et observe la scène de bataille qui se dessine devant elles. Finalement, le vieil homme retourne à son hôtel pour la nuit en promettant qu’il reviendra et qu’il ne va pas lâcher l’affaire.

Il revient effectivement tous les jours à la charge, il refuse catégoriquement de parler au mari de sa fille, il veut juste voir ses petites filles, il ramène parfois quelque chose à grignoter et il leur parle surtout de la vie en Corée, il semblerait qu’il aimerait les y emmener. L’aînée n’aime pas bien ses manigances et se range du côté de son pater en essayant de le mettre dehors, mais le vieil homme a de la hargne, il ne se laisse pas faire. Katsumi et Manami écoutent, elles, ce qu’il a à raconter, toujours par le biais de leur mère qui fait de son mieux pour traduire. Son père est partit quand elle était encore jeune et si elle a fait un peu de coréen dans sa scolarité, elle ne l’a pas pratiqué depuis longtemps, elle a pourtant l’air heureuse de le retrouver et la voir ainsi suffi aux deux cadettes. Leur famille se scindent en deux et chaque dîner devient un calvaire, leur père et sa fille aînée tentant de les persuader que c’est un escroc, leur mère et Manami sur la défensive et Katsumi est en retrait, elle n’aime pas les conflits.

Le vieil homme a fini par obtenir ce qu’il veut, selon leur grande-soeur, il a brisé leur famille et finalement les a séparé les uns des autres. Leurs parents ont divorcé dans le mépris, l’aînée qui est majeure reste avec son père et il est décidé que la garde des deux cadettes revient à leur mère ; et bien vite elles quittent toutes les trois Fukuoka pour Incheon où leur nouveau foyer les attend. Katsumi doit entrer au lycée, mais elle parle à peine coréen, elle a perdu tous ses repères, ses amis, mais comme toujours, elle fait avec et prend sur elle. Elle n’a pas vraiment de projets, ni une grande détermination, maintenant tout ce qu’il l’intéresse c’est danser, elle chante aussi un peu au dessus de ses chansons rythmées et elle n’est franchement pas mauvaise. Son grand-père l’encourage en plaisantant à passer des auditions comme “en plus” elle est jolie ; sa mère pense aussi que ce serait au moins l’occasion de rencontrer des gens avec les mêmes centres d’intérêts, mais Katsumi n’est pas vraiment intéressé, elle ne se sent pas capable de rivaliser avec d’autres jeunes gens qui, elle en est sûre, sont bien plus talentueux et entraînés. Cependant, elle se remet à danser dans la rue, rejoignant des bandes qui font cela pour s’amuser, c’est pour l’instant le plus important pour elle, s’éclater et rencontrer du monde. Elle se lie d’ailleurs d’amitié avec une jeune chanteuse qui se produit devant une gare de son quartier, comme elle, elle ne se pense pas à la hauteur pour auditionner dans une grande compagnie, mais elle veut tout de même une chance de chanter devant un public, juste pour se libérer. Elles finissent par former un duo chant/danse dynamique et gagnent en popularité auprès des autres artistes de rue, Katsumi découvre un véritable réseaux de solidarité. C’est l’été de ses 17 ans que la chance tourne pour le duo, lorsqu’elles sont repérés par un agent de la JPP et qu’ensemble, elles décident de saisir la main qu’on leur tend et de se lancer dans un nouveau défi ; débuter ensemble.