La bibliothèque est vide, c’est l’été. Dehors les clubs de sports s’activent malgré la chaleur, eux aussi doivent subir la pression de la compétition, finalement la vie de Soo Hyun n’a peut-être rien de spéciale, cela l’aide à relativiser. Il est content que le lycée soit ouvert, il préfère travailler ici plutôt qu’à la maison où on lui donne une attention constante et indésirable ; entre les murs de sa chambre qui semblent avoir des oreilles, il n’a pas le loisir de laisser son esprit divaguer comme il peut le faire ici où personne ne le surveille. Quand il en a marre de rester assis, il se promène entre les étagères, choisit un livre qui semble intéressant et le feuillette, se laisse emporter un instant dans son univers avant de le fermer subitement et de revenir à la réalité. Dans sa vie, il ne s’est jamais rien produit qui vaille la peine d’être raconté, c’est comme s’il était le personnage secondaire de l’histoire de quelqu’un d’autre ; son père peut-être ou plus probablement un de ses cadets, ils semblent tous avoir une vie très mouvementée. Face à cela, Soo Hyun ne peut que rester en retrait, leur ébouriffer les cheveux quand il les entre-aperçoit à la maison, s’il n’est pas confiné dans sa chambre pour travailler toujours plus. Il retourne alors s’asseoir devant ses notes et la tête dans une main, il ne pousse même pas un soupir en reprenant son manège et il continue ainsi jusqu’au soir.

L’école de nuit, c’est comme cela qu’il la préfère, on croit y entendre le souffle de l’enfer quand le vent s’engouffre par une fenêtre restée entrouverte quelque part ; impossible de la trouver et de faire taire ce vacarme qui résonne entre les murs sur lesquels dansent le silhouettes lugubres dessinées par l’ombre des arbres et la lumière vacillante d’un réverbère. C’est dans cette atmosphère que Soo Hyun glisse dans les couloirs vides comme un esprit habitant les lieux, il n’est pas encore prêt à rentrer, il a besoin de faire une dernière chose sous le regard de la lune. Mystérieusement il aime mieux la piscine quand il n’y a plus personne et qu’il doit escalader la barrière pour pouvoir y accéder. Il se sent un peu hors-la-loi, il goûte timidement à la liberté alors qu’il enlève ses vêtements, frissonnant au moindre courant d’air, mais une fois qu’il plonge dans l’eau, la température de l’air ne le gêne plus, le bassin a été chauffé toute la journée par le soleil. Il ne fait pas bêtement des longueur, il reste un instant à flotter à la surface puis disparaît sous l’eau pendant plusieurs minutes. Ses yeux sont habitués au chlore et dans la lumière automatique, ses cheveux dansant autour de son visage, il semble vraiment dans son élément. Quelque part, Soo Hyun déteste se sentir bien ici, il voudrait tant trouver autre chose qui lui donne la même satisfaction ; il s’est pourtant tristement résigné et a accepté qu’il ne pourrait jamais fuir l’héritage de sa famille et que rien ne pourrait égaler la sensation d’être totalement immergé, caché sous les flots. Quand il remonte à la surface pour respirer enfin, la lune est toujours à sa place dans le ciel et c’est elle qui le guide sur le chemin du retour. Il se demande pourquoi lorsqu’il se déplace quelque part, l’astre semble toujours le suivre ; il a beau passer son temps à étudier, il n’aura jamais la réponse, mais il croit se souvenir vaguement qu’un vieil homme lui aurait dit que c’est parce qu’elle l’aime, lui en particulier et touché par sa clarté immaculée, Soo Hyun se sent rosir.



Soo Hyun reste paralysé devant la porte close ; il n’a rien pu faire, elle est partie. En fait il n’a même pas essayer de le retenir, il l’a même aidée à charger ses affaires. Finalement, c’est lorsqu’elle a commencé à s’installer petit à petit chez lui que cela a commencé à s'effriter, leur relation était fragile, ils se disputaient plus que les autres couples en moyenne, il le sait car il a lu une étude sur le sujet. Dès qu’ils ont commencé à se fréquenter, Soo Hyun voulait tout bien faire, mais comme il manquait cruellement d’expérience, il s’est renseigné, avec des articles scientifiques et des livres de philosophie, ce sont un peu les seules références en lesquelles il peut se fier. La chimie et les théories de l’amour n’ont plus de secret pour lui, mais cela n’a pas suffit à sauver son couple. Pour la première fois il a écouté son coeur et il lui disait de la laisser partir. Elle n’était pas fâché, mais elle semblait déçue et c’est peut-être la pire conclusion pour Soo Hyun ; malgré tout son travail, elle n’était pas satisfaite et lui non plus. Il ne pouvait pas s’épanouir dans cette relation, s’il était heureux d’être avec elle, il ne parvenait pas à dépasser les apparences, il se sentait faux dans la moindre de ses actions. Il n’a jamais été acteur et ne le sera jamais, pourtant il a aimé aller au théâtre avec elle et analyser les mimiques des comédiens. On peut vraiment apprendre de tout, c’est ce qu’elle voulait lui montrer ; elle disait vouloir étendre ses horizons, mais dans une dernière tirade c’est tout l’inverse qu’elle lui a laissé.

- Finalement tu ne vois vraiment pas plus loin que le bout de ton nez et pourtant tu es intelligent, je le sais. Je ne saurais même pas te dire exactement où est-ce que ça n’a pas marché entre nous, mais si tu avais un peu regardé autre chose que tes livres, si tu avais au moins essayé de voir et de comprendre mes sentiments au lieu de les disséquer pour satisfaire ta soif de connaissance, peut-être qu’on n’en serait pas là toi et moi.

Les mots résonnent encore dans ses oreilles. Maintenant serait vraiment le moment propice pour se mettre à pleurer, ce serait la conclusion logique à cette escalade d’émotions. Pourtant ses yeux restent secs, aucune larme ne vient glisser sur ses joues ; c’est étrange parce qu’il est vraiment triste, mais il ne se souvient même pas la dernière fois qu’il a pleuré. Peut-être qu’il lui manque vraiment quelque chose et c’est cela qui a finit par faire éclater leur relation. Un soupir. Soo Hyun quitte enfin son entrée pour retourner dans la pièce de vie, qui en fait cruellement défaut. Il a pourtant pris soin de la décorer, d’y ajouter des plantes et il maîtrise parfaitement leur entretien ; il a lu à ce sujet également. Cette nuit-là, il ne dort pas, mais regarde le plafond s’étendre indéfiniment dans l’obscurité.