« je me souviens. tous les soirs il me répétait que j’étais ce qu’il possédait de plus précieux et que c’est pour cette raison qu’il refusait de me partager. j’y ai longtemps cru mais je ne suis plus une enfant et je sais que c’était pour me protéger. pour éviter que je sois affectée pas l’abandon de ma propre mère. » elle sourit. aucune tristesse n’est perceptible dans sa voix et le thérapeute prend quelques notes dans son grand carnet noir. ils se rencontrent chaque semaine et le sujet est invariablement le même; la mort et le deuil de son père. malgré l’absence de larmes, n’importe qui peut deviner que la jeune fille a été grandement affectée par celle-ci. il s’agit d’une mort brutale, inattendue. un assassinat n’est pas une mort commune et il est difficile d’en faire le deuil sans entretenir une rage et une haine immense. son père s’est toujours bien occupé d’elle malgré son jeune âge et elle se plaît à dire que l’absence d’une mère ne lui a jamais réellement manqué. c’est un mensonge. mais jamais elle n’aurait osé l’avouer à son père qui s’efforçait de lui inculquer les meilleures valeurs pour faire d’elle une jeune fille saine d’esprit et les pieds sur terre. de toute façon, elle avait sa tante qui, même si elles n’ont jamais été très proches, n’était jamais bien loin.

« je ne sais pas. est-ce que c’est sa faute? peut-être. » encore cette même question qui semble attiser un peu trop la curiosité de son thérapeute alors que, pour sa part, elle n’y accorde pas une très grande importance. Ils ont abordés ses relations interpersonnelles à quelques reprises. même si l’amour reste un terrain inconnu pour la jeune fille, elle est incapable de nier son attirance physique envers les deux sexes. avec une personnalité comme la sienne, ça n’a rien d’étonnant. elle sait attirer l’attention et joue avec cette dernière. combien de couples a-t-elle ruiné simplement pour son plaisir personnel? pour occuper son attention avec autres choses que sa situation familiale? elle aime semer le doute chez les autres jeunes filles en ce qui concerne leur orientation et elle aime jouer avec les garçons qui semblent succomber à ses charmes avec une facilité déconcertante.

« j’étais populaire bien avant. ça ne change rien, je continue à mener ma vie, tout simplement. » elle plante son regard dans le sien, attendant qu’il note quelque chose dans son carnet mais rien. il ne la croit pas? pourtant, sa présence sur les réseaux sociaux ne date pas d’hier. elle a grandi dans ce monde virtuel qui lui apportait un sentiment d’appartenance énorme. de multiples cliques sur ses photos, des commentaires aussi gentils qu’haineux. c’est ce qui la nourrit. c’est ce qui lui permet de continuer sa vie d’adolescente banale et lui procure son intérêt pour les langues. son influence est internationale.

enfin, il va dans le vif du sujet. elle lève les yeux vers le ciel et s’enfonce davantage dans le fauteuil, croisant ses bras sur sa poitrine. Il réalise qu’elle n’est encore qu’une enfant. pleine de volonté et avec une vivacité d’esprit hors du commun, certes, mais une gamine. « dangereux, dangereux… vous êtes tous chiants. personne ne peut comprendre et on s’en fiche. » elle n’a jamais caché sa volonté de découvrir la raison derrière l’assassinat de son père. heureusement, yoo jin semble partager la même détermination et ose même l’impliquer dans ses multiples recherches. elle n’a d’ailleurs pas l’intention d’abandonner, peu importe ce qu’on lui dit. même si sa tante réalise que ce n’est pas une bonne idée de la suivre, elle ne lâchera certainement pas le morceau. depuis quand accorde-t-elle de l’importance aux figures d’autorité autres que son défunt père?

elle secoue légèrement la tête et soupire. elle sait que son thérapeute marque un point. depuis le tragique évènement, ses crises d’anxiété de s’améliorent pas, bien au contraire, elles sont de plus en plus difficiles à contrôler. « hors de question d’augmenter la dose. je vais y arriver par moi-même, vous verrez. » son entêtement exaspère l’homme qui, même en insistant, n’arrive pas à lui faire changer d’idée. elle finira bien par réaliser que sa condition ne reviendra jamais sous contrôle sans un gros coup de main. malheureusement, elle devra se heurter à plusieurs murs et, malgré la force de caractère qu’elle s’obstine à démontrer, il sait très bien qu’elle est plus faible que ce qu’elle ne souhaite laisser paraître. Il finit tout de même par lui donner congé. ils reprendront la conversation la semaine prochaine.

« ouais c’est bon merci. à la prochaine. »