« La voilà, c’est la fille Do… »

Des chuchotements, encore. Le classique de la jeune demoiselle alors qu’elle trimballe son violoncelle avec elle à travers les corridors du conservatoire. C’est son nom de famille qui fait jaser, pas ce qu’elle est. Après tout, elle est tout ce qu’il y a de plus normal, rien d’extraordinaire. Troisième et petite dernière de sa fratrie, elle a grandi entourée de ses parents, son oncle et ses grands frères de neuf et trois ans ses aînés. Une famille où le désordre règne au même titre que la discipline dans un mélange étrangement harmonieux. La petite Jiyeon n’a jamais manqué de rien, que cela soit au niveau matériel qu’émotionnel. Elle n’avait qu’à chigner quelque peu pour que l’un de ses frères la traîne avec lui, lorsqu’elle n’était pas nichée dans les bras de son père. La seule fille, la petite princesse adorée, mais aussi charriée, car celui qui ne se fait pas taquiner n’est pas réellement un Do, tout le monde y passait, sauf peut-être la matriarche, réelle dirigeante du foyer…

En entrant à l’école, elle pensait se faire des amis, mais trop de ses camarades ont eu l’influence de leurs parents, et on la regarde de loin sans lui dire bonjour. Elle est isolée malgré elle et si comme cela ne pouvait être pire, ses bulletins ne sont pas à la hauteur des attentes. Elle suit des cours particuliers avec des tuteurs, ses temps de jeu sont réduits malgré les insistances de son grand frère de la laisser jouer avec eux. Très tôt, elle apprend que ce nom qui l’éloigne de tout le monde, il vient avec d’autres attentes. La performance est importante, et il semblerait bien qu’elle est la première pour qui cette réalité lui éclate au visage entre ses frères et elle. Hyun et Jun ne semblent avoir aucun mal, eux… En compensation de ses misères, la petite princesse s’impose dans les univers de ses aînés, réquisitionnant de leur affection lorsque bon lui semble. Au moins, sur ce front on ne lui refuse rien.

Si l’école n’est pas fructueuse autant au niveau social que performance, elle a la chance d’avoir d’autres points où elle a du positif. Sa mère, voyant que le cercle social de sa fille se limitait à sa famille, lui présenta celle qui était promise à son plus jeune frère, et la petite Jiyeon se lia rapidement d’amitié avec Jin Hee. Cette dernière allait être sa sœur après tout, tant mieux si elles s’entendaient bien. Et comme si une formule magique se cachait dans sa première amitié, le cercle s’agrandit jusqu’à contenir un quatuor. Le ‘petit F4’ qu’on les appelait. Jiyeon les adorait, les adore toujours, et elle doute un jour cesser de les adorer. Jin Hee reste la plus proche d'elle par contre et les deux gamines deviennent inséparables à bien des instances.

L’autre chose qui fit un changement drastique dans la vie de la petite demoiselle, ce fut son introduction à la musique. On avait tenté de la mettre au piano, mais elle n’en fut pas plus intéressée qu’il ne fallait. C’est alors qu’on lui avait présenté un violon que le déclic se fit. Le violon, non. Le violoncelle par contre. Elle avait les yeux plus gros que la panse, l’instrument gigantesque à côté d’elle, mais c’était celui qui l’appelait. Comme un coup de foudre, se fut un déclic et la petite princesse n’était aucunement dérangée par la taille de son nouvel allié. Elle avait 8 ans, et venait de se découvrir une réelle passion, une passion qui n’était pas près de la quitter.

Si au lieu de lui chuchoter dans le dos là où elle circule, on lui demandait de décrire son existence, son histoire, elle dirait qu’elle est choyée mais que contrairement à tout ce que l’on dit sur elle, il n’y a absolument rien d’extraordinaire. Oui, avec son nom de famille vient la fascination et parfois un peu de crainte, mais au cours des années qui passent, Jiyeon n’est rien de plus qu’une adolescente normale avec ses passions, ses problèmes, ses amis… jusqu’à ce que le drame lui tombe sur la tête.

On prend souvent ce que l’on a de plus précieux pour acquis et la demoiselle doit admettre avec toute la honte qu’il soit possible de contenir dans son corps qu’elle avait fait l’erreur avec ce qu’elle aurait dû savoir être son plus grand trésor : ses frères. Alors lorsque ce qui devait être qu’un simple voyage d’affaires pour Hyun se résulta en la mort tragique et imprévisible de ce dernier, elle avait été complètement assommée. Si elle aurait dû s’écrouler et pleurer toutes les larmes de son corps, puisqu’elle venait de perdre le phare qui guidait Jun et elle-même dans la pénombre des obligations familiales, elle n’en fit rien puisque son frère encore en vie était devenu une sorte de bombe à retardement au niveau émotionnel. Trop occupée à sécuriser ce qu’il lui restait, s’assurer de ne pas voir Jun se détruire entièrement dans son propre deuil, elle n’a jamais pleuré sa perte. Non, son deuil à elle, il s’est transformé en cette horreur de l’océan, cette peur des hauteurs déjà existante maintenant décuplée, cette dépendance incroyable à la voix de son aîné survivant… Elle aurait voulu qu’il reste avec elle, mais si Jun avait besoin de partir à Jeju, elle n’aurait aucun autre choix que de l’attendre.

Pendant cette attente au moins, elle avait son fidèle violoncelle pour la réconforter lorsque personne n’est en état de le faire. Avec lui, elle s’était trouvé un allié aussi puissant que sa meilleure amie, un allié qui avait convaincu ses parents que la meilleure façon de briller pour elle était de pousser cette passion au maximum, si bien qu’elle avait été admise au conservatoire.

Tout ce qu’il lui restait c’était de de se reconstruire, redevenir la princesse qu’elle savait pouvoir être au lieu d’en être qu’une ombre…