« Suji, ma chérie, viens ici un instant. »
La gamine prend un grand souffle avant de piétiner vers le lit de sa mère, y grimpant avec un peu de difficulté. Non pas parce que le lit est haut, elle a tout de même 7 ans, elle n’est pas petite, mais parce que le poids émotionnel de la situation ne lui échappe pas même à son jeune âge. Sa maman, elle ne va pas bien. Pendant longtemps Suji disait qu’elle irait mieux, elle y croyait fermement… mais il semblait bien que non, elle se trompait. Il était impossible de nier maintenant. Le cancer, comme son père avait appelé ça, était en train de ravager sa si jolie maman.
« Ma belle grande fille, tu dois me promettre quelque chose. À compter d’aujourd’hui, tu vas prendre soin de ton petit frère plus que de quiconque, d’accord? »
C’est avec un hochement de tête que la petite acquiesce, ne se doutant pas que lorsqu’elle quitte la pièce étouffante et s’en va jouer avec son petit frère pour remplir sa promesse, c’était la dernière fois qu’elle voyait le sourire de sa mère.
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« Hyunie il ne vient pas avec moi? »
« Non Suji, c’est uniquement pour les grands. Tu as 10 ans, tu as le droit d’y aller. »
« Je vais attendre que Hyunie ait 10 ans! »
« Non. »
Le petit bout de femme fait la moue tandis que son père utilise un ton ferme et la guidevers un lieu qu’elle ne connaissait pas, à la montagne. C’est là qu’elle apprend une des réalités qui changerait sa vie : Il y a des gens avec des pouvoirs, et il était de sa mission à elle, comme à des générations de sa famille avant elle, de s’assurer qu’ils ne fassent aucun faux pas. Heureusement elle ne serait pas seule, et c’est lors de ses entraînements qu’elle rencontre non seulement sa meilleure amie, Eun Jung de la famille du Chat, mais également une des personnes qui allait changer son existence à jamais : celui qu’elle viendra à appeler l’amour de sa vie, Sun Hyun.
Dès qu’elle a fait sa rencontre, elle l’avait trouvé amusant. À 10 ans, c’est tout ce qui compte, après tout, de bien s’entendre. Elle ne se doutait pas qu’en peu de temps elle ne voudrait plus passer de temps en entraînement sans qu’il y soit, au grand dam de son paternel.
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« Ton frère a déjà gagné bien des compétitions. »
« Oui, je suis si fière! Il est si compétent. »
« Je ne peux pas en dire autant par rapport à toi, jeune fille. »
Suji soupire et regarde ses pieds, assise dans le bureau de son père. Elle sait très bien qu’il n’est pas satisfait du fait qu’elle a abandonné le taekwondo pour le tir à l’arc. Elle est bien meilleure archère, et de loin, mais le patriarche Tortue ne cesse de lui faire valoir qu’elle aurait dû continuer à persévérer. Suji s’en veut pour ce choix, considérant que son père semble avoir rabattu toute sa rigueur sur Dong Hyun, mettant une pression que le jeune homme pour laquelle l’aînée se rend plus que coupable. Ce n’est pas la seule décision de Suji pour laquelle leur paternel n’est pas très compréhensif, d’ailleurs, et comme à chaque fois, il semble bien décidé à lui ramener dès que possible.
« Tu fréquentes toujours le fils Écureuil? »
« Le fils Écureuil il a un nom, papa... »
Sun Hyun. Après des mois de déni, ils avaient enfin affronté leurs sentiments, ils étaient un couple mais Moon Sang Woon continue de penser que sa fille devait viser mieux. Il y a bien des choses pour lesquelles Suji laissait son père décider, suivant les règles qu’il a établies, mais son amour pour son petit ami n’en ferait jamais partie.
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« Dong Hyun, reviens! »
Trop tard, il venait de claquer la porte. Suji soupire et fait les gros yeux à son père. Plus ça va, plus la maison familiale n’est qu’un lieu de querelle entre le père et le fils… et entre les deux, la femme de la maison : elle-même.
« Papa, c’est assez. Il va finir par flancher sous autant de pression. »
Elle sait très bien que son père n’est pas content qu’elle s’en mêle, qu’elle ose lui dire ce qu’elle pense des disputes incessantes. Elle est trop émotive, qu’il dit, comme si c’était un défaut. Elle se doute tout autant qu’il blâme cela sur le fait qu’elle est une fille, et que c’est pour cela que ses attentes sont pratiquement inatteignables pour Dong Hyun. Son père voit bien plus sa lignée continuer via une voie masculine… elle ne l’aurait jamais pensé sexiste, il semblait beaucoup plus intelligent que cela, mais il y a de ces choses qui ne changeront pas facilement… dont la façon que les femmes sont vues en société.
« J’ai promis à maman. » s’explique-t-elle avant de prendre un manteau et de partir aux trousses de son cadet. Prendre soin de son petit frère plus que de quiconque…
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« Il ne t’avait rien dit? »
« Rien! Le voilà parti pour New York! »
Aucune histoire d’amour ne se passe entièrement bien. Suji le sait très bien, mais pourtant, lorsqu’elle a appris que son petit ami avait pris le chemin de New York pour sa danse, elle ne savait pas si elle était plus insultée de ne pas l’avoir vu venir ou qu’il ne lui en ait tout simplement pas parlé. Assise sur le plancher chez Eun Jung, plongeant dans un plat de glace à la fraise, elle fait la moue en piquant sa cuillère à répétitions.
« Il ne voulait pas que j’aie à choisir entre le suivre et rester pour Ddong… »
Elle comprend pourquoi, mais cela n’enlève pas la douleur… Mais elle lui avait déjà tout pardonné. Elle l’aime, elle n’a qu’à attendre qu’il revienne. Il a le droit de poursuivre ses rêves.
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« Droit familial? Tu aurais été une excellente procureure, pourtant… »
Suji doit admettre qu’alors que son père lui fait un compliment, elle s’en trouve un peu déboussolée. Il faisait souvent savoir son désaccord, mais qu’un commentaire positif fasse son chemin au travers, c’était impressionnant. Le regard de son père ne lui échappait pas par contre. Il ravalait un commentaire désobligeant, et elle se demandait si c’était par rapport à elle ou à son frère. Il était incapable d’être fier des enfants qu’il avait, comme si ses attentes étaient trop lourdes même pour lui.
Peut-être que ce n’était pas ses plans, qu’elle soit son héritière en étant non seulement l’aînée mais également la seule éveillée des deux enfants Tortue. Peut-être qu’il tentait d’accepter que son couple avec Sun Hyun était fait pour durer. Peut-être qu’il réalisait qu’il n’avait pas besoin de mettre autant de pression sur son fils, maintenant que Dong Hyun s’était blessé. Suji ne pouvait qu’en souhaiter une chose : qu’elle réussirait à avoir une famille bien tissée serrée, un jour.